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voix aiguës des villageoises, qu’on percevait comme de térébrants sons de flûte, doublaient l’horreur silencieuse qui agitait tous les hôtes de la forêt. Cette nuit-là, il semblait que la nature entière haletât de terreur. Les arbres, dont les rondes frondaisons avaient, vues de haut, des vallonnements pareils à des contours de seins, ondulaient, poussant des soupirs, et, d’écho en écho, la terre trépidait d’un bruit furieux comme un galop d’armée. À chaque tournant du chemin, on pouvait, dans une coulée du roc, lit d’anciens ruisseaux où ne croissaient plus que des fougères, atteindre, du regard, le sommet de la montagne. À ce sommet rayonnait une vieille maison aux murailles épaisses, assise sur de colossales pierres jurassiques, érigeant un svelte donjon neuf, coiffée d’un casque de verre tout étincelant. On eût dit que le château de Rocheuse brûlait ou s’éclairait pour un bal.

— Entends-tu ? fit Paul, les narines palpitantes, croyant humer une odeur de chairs grillées.

On entendait, se rapprochant, les clameurs gutturales des femmes, et, des deux côtés de la route, commençaient à s’échelonner les paysans munis d’ustensiles singuliers. Quelques-uns portaient leur baquet, leur auge à porcs, sur leurs épaules, et l’on ne découvrait plus que leurs jambes, vagues pattes grouillant confusément sous une carapace monstrueuse.

— Tout est anormal, ce soir, songea Reutler.

— Et quand même, cela sent la fête ! répliqua Éric. As-tu vu ces bonshommes ? On les croirait masqués ! Sont-ils assez falots !