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II

— Mon Dieu, s’exclamait Reutler, c’est de la démence ! Sortir presque déshabillé ! Monter à cheval en costume de flanelle blanche, sans chapeau, sans manteau, avec des souliers de chambre, pas même de cravate au col, et en exhibant une chemise de soie que le vent te plaque à la peau… Éric ! Je te dis qu’il faut faire demi-tour. D’abord parce que c’est ridicule, ensuite parce que tu vas t’offrir une fluxion de poitrine… Éric !

— Nous arriverons trop tard ! riposta le cadet, dont les jambes nerveuses serraient les flancs de sa jument.

Elle fit un écart énorme, s’encapuchonna, et, toute renâclante, leva la tête à la hauteur de la gorge de son cavalier qui, brutalement, lui scia la bouche.

— Paul, fais attention ! supplia Reutler très inquiet, ta bête a peur… et, tiens, mon cheval aussi !… S’emballer, en pleine nuit, dans les bois de Rocheuse, ce ne serait pas prudent. Qu’est-ce qu’il y a donc ?

Les deux chevaux dansaient sur place, refusant d’avancer. On était à mi-chemin du village, la route s’enfonçait en spirale claire dans les ombres du bois, et elle paraissait tomber, comme un torrent, au fond d’un gouffre. Vers la droite, un roncier se hérissait de fleurs pâles et d’épines, mais on ne voyait personne le long des fossés.