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pouvait devenir fous. C’était toujours un espoir.

Jusqu’au moment où l’aîné se persuada que c’était sa faute, la faute du platonisme dont il avait souvent affirmé la vertu surhumaine. Le tigre gagnait du terrain !… Et arrivaient des trêves charmantes, des visions de tendresse infinie, permise, tellement douce qu’on ne soupçonnait pas leur danger, qu’on oubliait tout pour s’identifier à l’unique bonheur de vivre.

… Ils se retrouvaient, cette tranquille nuit d’étoiles, après de longues lectures faites loin l’un de l’autre. Ils s’étaient espéré tout le jour, et au soir, venant se rejoindre dans leur cellule astrale, comme en la plus aimée chapelle de leur église, ils se taisaient, ou ne disaient que la moitié des phrases, s’écoutaient penser, n’osaient pas un geste et devinaient bien qu’ils ne pouvaient plus rien s’apprendre. Des silences coupaient leurs réflexions, comme avec des lames glaciales d’où dégouttait du sang, tout le sang de leur cœur.

— À quoi attribuer ces phénomènes de télépathie si fréquents chez nous ? questionna Paul.

— Nous sommes frères ! dit l’aîné vivement.

— Reutler, je me tourmente d’une chose… l’idée de ce mariage. Est-ce sérieux ?

Reutler se mit à rire, dans son ombre.

— D’ailleurs tu dois avoir des maîtresses, de ces passions brutales qui ne laissent pas de souvenir ! Je ne puis admettre la chasteté absolue. Réponds donc, continua Paul… s’animant. Un prêtre raté c’est tellement le cousin du diable ! Reutler, je suis curieux, quelquefois, de tes aventures