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débarrassée de ses joies et de ses douleurs, un état de simple volupté végétative, pouvait peut-être te fournir la somme de sensations nécessaires à la découverte de cette suprême jouissance intellectuelle que nous nommons l’art.

— J’ai pensé cela… confusément, comme l’on rêve, mais avec toute l’intensité du rêve qui nous décuple en de profondes et merveilleuses sensations. Tu es bien étonnant, Reutler ! Voici une heure que nous nous taisons. Je ne te croyais pas capable de suivre mon monologue intérieur.

— La clarté de ton visage me suffit pour lire en toi mieux qu’en mon livre.

— Allons donc ! Tu lis aussi le livre ? (Et Paul eut un accent un peu venu du nez, comme la voix de tête des enfants ou des femmes qui se plaignent.) Toujours ta prétention de déchiffrer, la nuit, ces vieux bouquins, encombrés de notes minuscules.

— Puisque j’y vois… qu’importe la nuit !

— Les preuves ? dit Paul se levant sur un coude, l’air de railler, cependant convaincu d’avance.

Reutler se courba, de nouveau, entre deux feuillets, puis, d’un ton sourd quoique très distinct, de son ton professoral, pesant chaque syllabe, il lut au hasard :

« Le sorcier, s’étant ondoyé les mains, prit son bâton, récita la formule et heurta le rocher de trois coups. Lors, sortit enfin l’Elémental de sa gangue de pierre, qui fut une petite créature toute roide, réfrigérante ainsi que membre d’homme mort. »

— Prodigieux, murmura Paul interrompant Reut-