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le sofa, sommeillait, les jambes rompues et la tête extatique.

— N’y touchez pas ou je vous tue, cria Reutler.

— Mais je veux très bien qu’on se tue, grogna le Slave, agacé de cette insistance ; cependant, pas devant Madame, nous serions ridicules. Elle est venue me chercher, je viens la chercher, je suis correct, cher Monsieur. Vous, vous oubliez de me donner votre carte, il me semble.

Paul entr’ouvrit péniblement les paupières.

— On ne peut donc plus dormir, ici ? soupira-t-il se croyant dans son lit, et, de très mauvaise humeur, il se tourna sur l’autre bord.

Avant qu’aucune irréparable collision fût possible, Reutler souffleta le prince. Il le fit sincèrement, brutalement, tout heureux de concentrer en cet acte décisif ses multiples raisons d’être enragé.

Stani devint rouge, puis blême. Il se jeta sur lui d’un bond souple. Reutler lui maintint les poignets ; alors Stani jura dans sa langue maternelle une bonne partie des jurons qu’il savait. Selon sa race, le matou jurait furieusement.

Les deux hommes finirent par s’épouvanter de leur bestialité réciproque, et regardèrent la robe d’or. L’impératrice, toujours en extase, venait de placer ses pieds joints beaucoup plus haut que sa tête ; la ligne blanche de ses jambes éclairait les sombres cloisons rouges d’une lumière laiteuse.

— Paul-Éric de Fertzen, mon frère ! dit Reutler désignant le dormeur, car, à présent, il s’était au moins assuré le premier danger.

Le Slave ferma les yeux. Ce fut la minute inoubliable de sa vie de plaisir.