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de pitié, s’éteignit en une langueur navrante qui n’était peut-être que l’expression de tous ses désespoirs de vivre. Ne pensez-vous pas, chère Majesté, qu’il est long ce temps que nous passons à voir couler la mer ? Oh ! cette éternelle danse du flot ! Ces humains et ces humaines sautant perpétuellement les uns en face des autres !… pour retomber perpétuellement les uns sur les autres. Que cherchez-vous ici, princesse, que vous n’ayez le loisir de puiser en vous-même ? Est-ce la beauté ? Je sais des yeux plus profonds que les océans, comme eux pleins de perfidies et de monstres. Une existence d’homme ne suffira pas, je gage, à en tarir les multiples et effroyables rayonnements. Oui… je sais des chairs blondes qui ont la splendeur du lis sous les pâleurs lunaires. Je sais la grâce infinie du félin qui bondit en la noblesse de vos pieds et de vos mains, ma reine ! Cherchez-vous la volupté ? Ah ! dieux ! Votre bouche est toute proche de ses dernières amertumes. Elle a l’air, ce soir, teinte du sang de celle qu’un de vos poètes préférés déclare l’enfant malade et douze fois impure. Votre bouche ! sa vue seule me plonge dans l’horreur, aussi dans l’admiration de sa naïveté. Je vous sais si corrompue, belle bouche en fleur, que je vous plains, miséricordieusement. Que faisons-nous ici, princesse ? Byzance est morte ! Nous attendons quoi ? Qu’il neige encore des siècles ? En vérité, en vérité, ne serait-il pas préférable de fuir ? L’éternité n’est, après tout, que notre heure ! Si vous le désiriez, pourtant ? Je vous emporterais, moi, loin, très loin, jusqu’à nous découvrir le sommet pur où nous bâtirons notre temple ! Un