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une déclassée, ne pouvait pas se permettre une telle orgie de couleurs et de pierres, elle aurait offensé le goût anglais, sobre, de ses fidèles, presque tous des imbéciles ; mais, vraiment, cela faisait du bien aux nerfs de se rencontrer avec une folle qui pensait que la robe d’or n’est pas uniquement destinée à la glorification des dieux.

La bouche rouge et bizarrement sensuelle de l’impératrice souriait de sa stupeur. Ombrée par la dentelle du masque, cette bouche luisait, s’entr’ouvrait sur des dents de jeune fauve guettant, et elle était terrible, car, à elle seule, dans l’or du costume, dans l’or des cheveux, dans l’atmosphère d’or de sa propre apothéose, elle vivait, disait un infernal désir. Ce n’était plus que le sang d’une blessure trouant la chair blanche jusqu’au cœur. Qu’importait la tendre magnétisation des yeux, bleus ou verts, qu’on n’apercevait pas puisque leurs paupières se baissaient, la rigide et sacerdotale tenue des beaux bras allongés en leurs manches, si amples qu’elles semblaient deux nouvelles jupes à deux nouveaux corps serpentins, qu’importaient, surtout, les grands chapelets d’améthystes aux croix étincelantes, si froides dans la chaude splendeur des soieries. Marguerite ne voyait plus que cette bouche, et, seule, cette bouche était l’impératrice !

— Pas banal. Mes compliments, dit la fille du bout des lèvres, furieuse, au fond, d’être dominée par un luxe dont elle n’avait jamais eu l’initiative.

— Oserai-je, Madame, fit la princesse byzantine d’une voix mélodieuse, très hésitante, une voix de Russe ou de Roumaine, on ne savait trop, car elle se traînait en mourants soupirs, oserai-je