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Reutler songeait, tailladant la nappe de la pointe d’un couteau. Il fuma, sans se lever, regardant Jorgon aller et venir.

Il profita du moment où le vieil homme approchait un flacon de sa tasse, lui prit doucement la main.

— Merci, mon ami, dit-il très bas, sans toi je m’enferrais.

— Ah ! vous l’avouez, Monsieur le baron, vous avez soif de mourir ?

— La situation me paraît insoutenable, mon vieux Jorgon, les jours de pluie !… Et tu ne peux pas deviner jusqu’où nous irons sur ce chemin-là. (Il se leva, hocha la tête en ricanant.) À cette heure je dormirais, comme la petite Jane, déjà oubliée ! C’est dur de ne jamais bien dormir, Jorgon. Depuis quelque temps mes insomnies me rendent fou…

— Et Monsieur Paul serait déshonoré, lui ! Vous n’y pensez pas ! fit Jorgon relevant sévèrement la tête.

— Tu as raison, il ne convient pas, en effet, que le cadet des de Fertzen soit déshonoré par la mort de son frère aîné, le Prussien. (Il éclata de rire.) Fichtre ! je tâcherai de me procurer un genre de trépas plus digne !

— Monsieur le baron, bégaya le vieil homme effrayé, vous êtes son fils, vous, tout comme l’autre, je vous servirai d’ombre ! Vous ne vous tuerez pas.

Reutler posa sa main puissante sur l’épaule déformée de Jorgon.

— Comme tu l’as aimée pieusement, la belle dame de Rocheuse ! Comme tu l’as aimée sainte-