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— Sans doute, on ne s’embarque pas sans doublure, chez nous, mon cher Monsieur.

— Eh bien, pas d’enquête et pas de scandale, jouez la pièce avec la doublure en déclarant un accident. Au besoin, affirmez que Jane Monvel est vivante. Moi, je m’occuperai du reste.

Rattrapant le groupe qui transportait la petite morte dont la chevelure balayait les échelons en semant des perles fines, Reutler donna quelques ordres, de son ton sourd, presque tranquille. Le grand Monsieur dédaigneux des répétitions leur parlait, maintenant, à tous, d’un étrange accent de volonté qui indiquait que c’était peut-être lui le véritable auteur. En vingt secondes il déblaya le terrain, comme un général sur un champ de bataille, écartant les mourants et les morts. Le directeur évoluait passivement, les actrices s’essuyaient les yeux, les machinistes couraient à leur poste. Pendant qu’on expédiait du côté de la rue de Verneuil le coupé contenant le cadavre sous la garde du vieux Jorgon, la doublure anima la somptueuse toilette, où ne se révélait aucune trace de boue, tant l’habilleuse avait fait merveille en piquant, çà et là, des roses fraîches, la somptueuse toilette de la reine morte, qui, retrouvant ses plis droits d’étoffe impériale, fit une entrée sensationnelle.

Surexcités par l’annonce, les spectateurs huèrent la débutante, mais ils réapplaudirent frénétiquement le décor.

Et durant que la vie des illusions charmeuses reprenait son cours, la petite âme de Jane Monvel, au bruit sinistre des huées, traversait les inextrica-