Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/110

Cette page n’a pas encore été corrigée

que je suis ivre ? J’ai bu du champagne pour me monter… J’en aurai trop bu ! Reutler !

— Non, répliqua Reutler inquiet, tu n’es pas ivre et nous ne rêvons pas. Ce qui vient de se passer est anormal.

— J’y suis ! fit Paul se frappant le front. Un nouveau truc du directeur. Il aura changé l’entrée, la trouvant pas assez exercice de force ! On va la voir regrimper ou redescendre sur un trapèze. Il me paiera cela, le misérable !

Paul, nerveux, Reutler, toujours calme, avancèrent un peu, de leur côté, en effaçant le plus possible les épaules. Alors, ils aperçurent toute la grâce du jardin des roses s’étalant en corbeilles parfumées, sincèrement, délicieusement vrai dans sa prodigieuse richesse fleurie. Des buissons entiers de rosiers disposés avec un art magique lançaient dans l’atmosphère blonde des herses leurs mille corolles, dont les nuances s’opalisaient jusqu’à la transparence du rayon, des jets d’eau bruissaient sur les vasques de marbre, semblaient offrir des bouquets de pierreries odorantes, car on les avait mêlés à d’énormes vaporisateurs d’essences, et le chantonnement des violons de l’orchestre s’harmonisait à leur musique douce, en frôlis d’insectes butineurs. Les douze cygnes, ahuris, les yeux brusquement dessillés par la fulguration d’un jour incompréhensible pour leur pauvre entendement de bêtes royales, se balançaient sur l’eau des vasques avec des roulis effarés qui pouvaient donner la sensation d’une printanière allégresse. Battant le fond des bassins de zinc de leurs palmes enchaînées, ils faisaient ruisseler sur les moires de