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sure du bœuf agonisant. Il fallut la coucher de bonne heure. Son père se retira dans son cabinet pour lire ses rapports, sa mère se mit dans son lit de soie bleue claire.

Vers minuit, la cousine Tulotte qui avait sa chambre près du cabinet où dormait l’enfant ouït un cri perçant, un cri de créature qu’on égorge ; elle se leva en sursaut et prêta l’oreille.

Mary avait un accès de fièvre chaude terrible, la fièvre lui faisait voir des monstres chimériques et des diables. Elle se débattait, les jambes hors de ses couvertures, appelant sa chatte Minoute à son secours, la seule affection définie qu’elle eût, l’étrange petite fille détraquée ! Tulotte prépara un verre de fleur d’oranger, de son allure calme et indifférente ; les demoiselles comme il faut de quarante ans n’admettent que la fleur d’oranger pour ces sortes de maladies subites qu’elles ne peuvent pas comprendre. Mary lança le verre n’importe où et se roula de plus belle, désirant sa chatte Minoute, l’ingrate qui ne l’aimerait jamais !

« L’homme !… j’ai peur de l’homme, répétait l’enfant d’une voix rauque, étendant ses bras maigres pour se protéger contre d’invisibles ennemis ; tu vois, Minoute, que nous sommes de pauvres chats, toutes les deux !… Notre maman va mourir, notre papa nous fouettera, et le gros bœuf est bien malheureux ! C’est rouge partout… c’est du feu… c’est le fourneau… Nous cuisons, Estelle nous fait cuire et on va nous manger !… Va-t’en, Tulotte, je n’aime