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Lorsqu’elle s’endormit, cette nuit-là, mademoiselle Barbe se demanda si elle ne faisait pas une grosse faute en épousant le prétendu que son oncle lui avait choisi. Puis, elle pensa qu’elle ne pouvait guère agir autrement : des murs étaient entre elle et la vie qu’elle brûlait de connaître ; pour démolir ces murs il lui fallait un nom de dame, il lui fallait le tortil de baronne, cette machine mince comme un fétu de paille, qu’elle avait examinée durant la fête au fond de ce chapeau d’homme élégant. Ensuite, l’amour était une chose bien sale qui ne la séduirait jamais.

Le lendemain, dans la débandade des tasses japonaises et l’affolement des domestiques, une scène éclata. Mary avait trouvé Tulotte ivre d’alcool, étendue de tout son long sur le velours jaune d’un canapé du salon. Elle la réveilla en lui lançant des pots d’eau.

— Eh bien ! quoi ? grogna Tulotte, ton oncle n’a pas voulu me donner un digestif… et j’ai bu ce que j’ai déniché, là, dans un godet en argent.

Le godet, c’était la lampe du samovar.

— Vous voyez, rugit la jeune fille à son oncle qui entrait, la mine soucieuse, votre sœur n’a pas même une ivresse convenable à s’offrir ! Elle boit de l’esprit-de-vin pour s’empoisonner. J’entends que vous lui laissiez la clef du cabaret aux liqueurs… je le veux !

Tulotte, dégrisée, écoutait sa nièce, l’œil larmoyant. Il y avait un rude changement ! Voilà qu’on