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dans des pots de terre appelés « bavarois » hauts comme de vieilles amphores. En attendant l’ouverture du salon mystérieux qui contenait l’arbre de Noël, le père Fouettard, si célèbre parmi les gamins de l’Alsace, faisait des discours ténébreux sur la sagesse de ces demoiselles et l’effronterie de ces messieurs. Le père Fouettard était masqué, sa hotte pleine de jouets lui servait de tribune, et il brandissait une verge de solides genêts. Ce poste de père Fouettard se donnait, entre les parents, avec une gravité à la fois comique et touchante. Tous les ans on devait faire, dans ce discours en pur alsacien, l’éloge de l’enfant le plus raisonnable ; des familles austères se disputaient cet honneur précieux d’avoir à élogier leur propre rejeton au détriment de celui du voisin. Innocente manie qui dégénérait en discussions violentes, c’est-à-dire que l’on se disait sur un ton cordial : « Ce n’est pas bien ! » quand l’adversaire finissait par triompher.

Le père Fouettard disait probablement des choses pénibles cette nuit-là aux nez roses de son auditoire lilliputien, car on apercevait des mamans s’essuyant les yeux d’un geste furtif.

Le gros négociant lui-même toussait très fort. Les petits se serraient les uns contre les autres, regardant à la dérobée la fille du colonel assise dans un fauteuil de présidente et ne comprenant rien du tout à ce verbiage animé.

— Est-ce que tu t’amuses ? interrogea le colonel, se penchant sur le dossier du fauteuil.