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Debout, mes pieds semblent glisser sur un métal chaud et leur réalité ne refroidit pas ce qu’elle touche. J’aperçois des objets fort connus qui me paraissent inconnus. Une flamme douce lèche l’or des cadres et la paume de mes mains. Un peu de vapeur fuse des glaces et j’ai les yeux pleins de larmes.

Je dois avoir trop travaillé ces temps-ci.

La saoulerie des phrases me monte à la tête. Je ne suis plus capable d’analyser des actes pour le seul plaisir de l’analyse, et les moindres gestes vont m’étonner, me pénétrer du surnaturel de l’existence, pourtant si banale.

Banale ? Ce n’est d’ailleurs vrai que pour les imbéciles.

Quand j’écris ou pense : banal, je vois, car il faut que je me représente les mots, que je leur donne des personnalités en dehors de toutes significations logiques, une banane, un fruit fade à saveur de marron pilé avec de la vanille. C’est nourrissant, écœurant, délicieux, indigeste, obscène de forme, et puis cela coûte cher.

La vie banale n’est pas à la portée de tout le monde.