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… Des hommes comme les autres, seulement ils gardaient les convenances et ne s’amusaient qu’à coup sûr. Puisque les jeunes filles et les prêtres étaient forcés de nourrir au fond de leurs entrailles une bête : la Luxure, sans jamais avouer ses ravages, ne pouvaient-ils se réunir contre l’ennemi ? Mettre leurs bêtes ensemble, les parquer en la communauté du plaisir ? Laure releva le front, s’examina, l’œil glissé de côté, sous les cils. On l’avait délivrée des sarraus et elle s’habillait selon ses goûts, dans des vêtements très collants, moulant ses formes, ce qui paraissait simple et enfantin au premier aspect. Elle portait une robe de lainage brun, une jaquette de drap noir, bien serrée à la taille, un modèle parisien que sa mère lui avait laissé choisir À la Reine Berthe, le magasin chic d’Estérac. Ses lourds cheveux, tressés en une seule natte énorme, roulaient de gauche à droite sur ses épaules, comme doués d’une puissance qui leur était propre, battant ses flancs ou accrochant des personnes au passage. Coiffée d’une toque de loutre l’hiver, l’été d’une toque de plumes de paon, elle n’avait jamais d’autres chapeaux. Ce n’était pas par économie : elle trouvait que ce genre de coiffure faisait valoir la longueur de ses yeux et lui laissait la tête libre pour le jour où elle désirerait la frotter à la tête d’un voisin. Aurait-elle, ce jour-là, le temps d’ôter une coiffure, savait-on où et comment on se rencontrerait ? Tête de fauve ou tête d’oiseau, elle ne se préoccupait pas des modes. Sa mère recevait un