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répliqua-t-il, arrêtant ses yeux fouilleurs d’ombres sur elle et se rasseyant.

Quelque chose sonna dans la poitrine de Laure. Elle fut comme inondée d’une céleste béatitude ; elle s’assit, rayonnante, se croyant sauvée sans savoir pourquoi. Il replia sa feuille de papier, qu’il glissa dans une poche de son veston avec sollicitude, rêva un instant, l’œil caché à demi sous la paupière clignotante, détaillant la jeune femme en ne souriant pas, les lèvres mordues de ses deux dents avançantes, la physionomie de l’homme hésitant qu’on a quelquefois pincé à ces vilains jeux de hasard. Il débuta par une banale phrase presque de tradition :

— Vous attendez quelqu’un ?

— Non, je n’attends personne, répondit Laure, dont les mots sortaient difficilement de son gosier angoissé.

— Une belle soirée. Vous aimez l’eau pure ?

— Mais oui, monsieur.

Confuse, elle agitait sa petite cuiller et se versait encore de l’eau sur très peu de sucre.

Il dit étourdiment :

— Vous ne préféreriez pas mon grog ? Vous me passeriez votre carafe, moi, je meurs de soif.

Elle murmura :

— Merci, monsieur, ne sachant pas s’il fallait accepter pour être polie.

— Du champagne, alors ; ou une glace ?

— Je… je… n’y tiens pas…