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creusée à ses commissures d’un sourire moitié bienveillant, moitié sceptique, sourire de bon résigné qu’il ne fallait point taquiner sans motif.

Il avait le premier abord froid, sa tête aux cheveux ras, grisonnants, mettait de la gravité sur la jeunesse de son corps de trente ans, son front s’élargissait aux tempes, ses maxillaires très larges intimidaient. Cet homme pouvait, à la rigueur, sortir d’un glaçon ; ses joues brillaient d’un vernis pâle comme on en trouve le long des joues des morts, à la Morgue, mais sous ce vernis le sang montait, fusait, plaquant de taches roses et jaunes la peau mince à en éclater, s’extravasant en ondes rapides, bouillant là-dessous comme bout une lave sous sa couche de cendres vitrifiées. Un nerveux et un fort, à coup sûr, un violent se tenant à quatre, dans la vie civilisée, pour ne pas se ruer contre les badauds de la rue, les ridicules des salons ou les injustices des temples. Rien qu’à observer la manière dont il pétrissait de temps en temps sa plume et le saccadé poli de ses gestes, on sentait qu’il était remué d’une fébrilité perpétuelle et savait cependant se mater, jaloux d’une belle réputation de courtoisie.

L’homme ayant déployé une feuille imprimée, y griffonna de petites hiéroglyphes, raturant, relisant, une main appuyée sur son oreille droite et l’autre tourmentant la plume avec une étonnante hésitation. Ce travail-là devait être le pendant de son caractère, tantôt rétif, tantôt rongeant son