Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/271

Cette page n’a pas encore été corrigée

les marmots à peu près sages. D’instinct, Auguste ne voulant pas compromettre une créature qui avait les cheveux flottants, rétrograda, mais Laure le poussa, enthousiasmée, flairant un libre épanouissement de jeunes luxures. Dans ce bal, on ne rencontrait pas un homme : c’étaient tous des gamins de seize à dix-huit ans, quelques-uns conservant des physionomies enfantines, des yeux purs au-dessus de bouches fanées, et les femmes étaient toutes gracieusement déhanchées, avec à peine de gorge, des reins souples de bambines couleuvres. Laure aspira cette atmosphère lourde, brûlée par un soleil cuivré, un soleil fourbe s’auréolant de vapeurs malsaines, par le feu des fourneaux, des fritures, par la fumée des tabacs d’occasion, et elle se déclara très heureuse. Cela lui glissa le diable dans les nerfs. Elle avait déjà rêvé de ces milieux interlopes où l’on trouve des canotiers presque nus, étalant leur chair tendre et savoureuse à la lumière des cieux. Henri, ne partageant pas ses goûts, l’en avait naturellement éloignée. Lui préférait l’Eden-Théâtre où cela sent quelquefois plus mauvais à force de sentir bon ! Laure crispait ses ongles fins sur le poignet d’Auguste, l’entraînant. Ils s’assirent sous une des cages à poules, en face d’une table point nettoyée. La jeune femme commanda une bouteille de champagne.

— Tu vas nous faire flanquer dehors ! bégaya-t-il, la tutoyant tellement il était épouvanté. Est-ce qu’on sert de ça ici ?