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un peu furieuse, où diable vous cachez-vous ? Et nos invités ?…

Jean Soirès, son mari, fit irruption dans la chambre à coucher. Le banquier avait trente-huit ans, il était large d’épaules et de reins, assez grand, sans embonpoint trop prononcé. Un homme bien en chair, aux yeux francs, très brillants, au teint coloré, aux cheveux châtains taillés en brosse, aux gestes d’une familiarité débordante.

Un homme très aimé des autres hommes, en qui on avait une confiance allant jusqu’au délire, surtout quand un laquais stylé promenait dans ses salons un champagne très authentique. Sa bouche, aux lèvres pleines et sensuelles, s’ouvrait sur des dents mates et solides. Il portait son habit de bal comme certains ouvriers tapageurs, avec un sans-souci d’allures presque rustre. Il marchait assez souvent sur les pieds des voisins.

Berthe s’avança :

— Me voici, Jean ! je n’ai pas envie de rire, moi ! et elle lui lança un regard sévère. Le banquier fit craquer ses puissantes phalanges, ce qui était son tic.

— Bah !… tu penses à ce nigaud ?

— J’ai des pressentiments ! déclara Berthe avec le ton d’un enfant malade.

Jean haussa les épaules et il eut, aux coins de sa bouche, un petit rictus mauvais.

— Pas possible, Mi-chat. (C’est ainsi qu’il appelait Berthe dans leur intimité.) Montre-les ?…

Il prit les mains de sa femme en l’enveloppant