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CORRESPONDANCE DE BUSSY-RABUTIN.


61. — Bussy au comte de Gramont.
À Paris, ce 18 août 1667.

Puisque la dame pour qui j’ai travaillé ne veut pas que je la connoisse, je ne l’aimerai pas et je me contenterai de l’estimer, non-seulement sur votre parole et sur le beau portrait que vous m’en faites, mais encore sur le sonnet que vous m’avez envoyé d’elle. Une dame qui sait faire d’aussi jolis vers, doit être aussi aimable en prose. Vous avez bien l’air d’être le garçon qui la trouve jolie ; pour moi, qui n’aime point à louer ce que je ne connois pas, je travaillerai sur une autre matière. Vous avez (si je vous en crois) à gagner une cruelle, et moi à me venger d’une inconstante ; j’ai rempli vos rimes sur ce sujet.

Si vous m’eussiez toujours conservé votre amour,
Sans vouloir affecter de passer pour Lucrèce,
J’aurois encor pour vous la dernière tendresse,
Et même en vous aimant, j’aurois perdu le jour.

Mais d’espérer de moi jamais aucun retour,
Après m’avoir donné tant et tant de tristesse,
Ce seroit trop attendre, Iris, de ma foiblesse.
Je n’ai dans vos liens que trop fait de séjour.

Pour vous je méprisois tout le reste du monde,
Avec vous je vivois dans une paix profonde,
Et vous seule pouviez rendre heureux mon destin.

Cependant je faisois une étrange folie ;
Car enfin hors le jeu, le bal et le festin.
Je ne sais pas pourquoi je vous trouvois jolie.

Je suis ravi de la gloire de notre maître, j’évite autant que je puis de faire des réflexions sur la guerre où je voudrois être à la place que j’y devrois tenir. Ces réflexions me donnent de la bile, et les bagatelles m’amusent et me font passer doucement la vie.