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1667. — JUIN

ner jusqu’où va ma tranquillité sur les injustices de ma fortune. J’en suis moi-même surpris à un point que je ne me reconnois pas ; car enfin je n’ai pas seulement besoin du moindre effort de ma raison pour me rendre content. Je crois que si on ne m’avoit fait qu’un peu de tort j’aurois toujours eu cela sur le cœur ; mais on l’a poussé si loin qu’on m’a tout à fait détaché. C’est comme la dame que vous savez : si elle ne m’avoit fait qu’une escapade, comme celles à quoi elle étoit sujette, je ne m’en serois jamais guéri, mais le tour qu’elle m’a fait m’a entièrement dégagé.

Je suis d’accord avec vous que le roi est en état de faire en Flandre une partie de ce qu’il voudra, et j’en suis ravi ; car outre l’intérêt que je prends à la gloire d’un maître qui n’a pu rebuter mon amitié par tous les maux qu’il m’a faits, c’est que la prospérité le rendra de bonne humeur et le disposera peut-être un jour à me faire justice. Cette espérance-là pourtant est accompagnée de fort peu d’impatience et d’un médiocre désir, afin que je ne sois pas fâché quand cela n’arrivera pas ; car sur toutes choses je ne veux point être fâché. Je passe la vie assez agréablement pour ne la passer qu’en province : et si, je suis pour le moins aussi délicat que j’ai jamais été ; mais je me fais des plaisirs de tout. Je n’en avois autrefois qu’un pour lequel j’aimois tous les autres : aujourd’hui je les aime tous également. Je les change avant que de m’en soûler : ainsi ils me réjouissent toujours. J’ai deux agréables maisons, dont il y en a une fort belle : j’y demeure autant qu’elles me divertissent ; je fais mes affaires en me jouant : je n’en ai plus d’épineuses. Je ne suis pas plus délicat sur la bonne chère qu’autrefois : vous connoissez là-dessus mon indifférence. Je reçois trois fois la semaine des lettres de beaucoup de gens auxquels je fais exactement réponse. Je fais des Mémoires qu’on lira peut-être un jour avec plaisir. Il faut bien que j’écrive moi-même mes services à la guerre, si je veux que la pos-