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CORRESPONDANCE DE BUSSY-RABUTIN.

pas, que je regardois la fin de ces misères, de quelque façon qu’elle pût arriver, comme je regardois avant cela d’être maréchal de France ; de sorte que j’entends parler aujourd’hui du voyage de Flandre avec la même tranquillité dont j’entendois ces jours passés parler des revues de la plaine d’Ouilles. Ce n’est pas que je n’aie écrit au roi ; mais j’ai donné cela à M. de Noailles qui m’y avoit engagé, comme vous verrez par la copie de sa lettre que je vous envoie, et non pas à l’envie que j’ai eue de refaire un métier où j’ai reçu tant de dégoûts. Je vous envoie aussi la copie de ma lettre au roi. Si l’on me donnoit un grand emploi et de quoi le soutenir, je serois ravi de recommencer à moins que cela, je serois fort embarrassé si le roi recevoit mes offres. Ainsi, madame, cessez de me plaindre sur les chagrins que vous croyez que j’ai. Il y a bien des gens en France qui ont de plus grands plaisirs que moi, mais il n’y en a point au monde qui aient moins de peines. Cependant j’ai autant de courage et d’ambition que j’en ai jamais eu : mais il est vrai que je ne suis pas assez fou pour me tourmenter pour des maux inévitables. Après les contrariétés de la fortune, je suis aussi peu fâché de n’être pas maréchal de France que de n’être pas roi. Un honnête homme fait tout ce qu’il peut pour s’avancer et se met au-dessus des mauvais succès quand il n’a pas réussi.


Quand on n’a pas ce que l’on aime,
Il faut aimer ce que l’on a.


Je fais des vers aussi bien que vous, madame ; mais je suis assuré que je savois les miens, et je crois que vous avez fait les vôtres.

Mademoiselle de Sévigné a raison de me faire des amitiés ; après vous, je n’aime ni n’estime rien tant qu’elle : je suis pour ses intérêts comme vous êtes pour les miens ; je