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1667. — MAI

vôtres ; mais, après les raisons que vous me mandez, je suis content.

On m’écrivit que vous étiez à Paris aussitôt que vous y fûtes arrivée. Pour moi, je n’irai point cette campagne ; je vais la passer dans mes châteaux à les embellir et à augmenter mon revenu, que ceux qui se mêloient de mes affaires avoient fort diminué, par les belles mains[1] qu’ils prenoient de mes fermiers. Quoique je n’aie jamais fait jusqu’ici le métier d’un homme qui fait valoir son bien lui-même, je ne m’en acquitte pas trop mal, et je ne le crois pas si pénible que je me l’étois figuré ; je pense que le profit en ôte les épines.

Pour la guerre où vous me souhaitez, je ne suis pas de même sentiment que vous. Je vous rends pourtant mille grâces, ma chère cousine, de la part que vous prenez à ma méchante fortune ; mais je vous en veux consoler, en vous disant les raisons que j’ai d’avoir là-dessus l’esprit en repos. Il faut donc que vous sachiez que lorsque je fus arrêté[2], j’étois tellement fatigué des injustices qu’on me faisoit depuis huit ou dix ans que j’étois à tous moments sur le point de me défaire de ma charge[3] ; la seule raison qui m’en empêchoit étoit la crainte des reproches qu’on m’auroit pu faire de m’être dégradé moi-même. Mais lorsque j’eus ordre de me démettre, j’en fus ravi, croyant qu’on ne s’en pourroit pas prendre à moi et qu’on n’en pourroit accuser que la fortune. Si d’un état agréable j’étois passé tout d’un coup à un état malheureux, je sentirois tout ce que vous sentez ; mais on m’a fait avaler, huit ans durant, tant de couleuvres dont je ne me vantois

  1. C’est la buona mano des italiens ; nous dirions aujourd’hui les pots de vin.
  2. Le 17 avril 1665.
  3. De mestre de camp général de la cavalerie légère.