meſmes, & ſyllogiſant : il dict bien auſſi n’eſtre mon eſtat ſuyure les cours des gros ſeigneurs : nature ne m’a produit que pour l’aide des pauures gens, Eſope m’en auoit bien aduerty par vn ſien apoloigue[1] : ce a eſté outrecordance à moy : remede n’y a que d’eſcamper de hait, ie dis pluſtoſt que ne ſont cuictes aſperges[2]. Et l’Aſne au trot, à peds, à bonds, à ruades, au gallot, à petarades.
La bergere voyant l’Aſne deſloger diſt au pallefrenier, qu’il eſtoit ſien, & pria qu’il fuſt bien traité, autrement elle vouloit partir ſans plus auant entrer. Lors commanda le pallefrenier que pluſtoſt les cheuaux n’euſſent de huit iours auoine, que l’aſne n’en euſt tout ſon ſaoul. Le pis fut de le reuoquer : car les garſons l’auoient beau flatter & l’appeller, Truunc, truunc baudet ça. Ie n’y vois pas, diſoit l’Aſne, ie ſuis honteux. Plus amiablement l’appelloient, plus rudement s’eſcarmouchoit-il : & à fautx, à petarades. Ils y fuſſent encores, ne fuſt la bergere qui les aduertit cribler auoine hault en l’air en l’appellant : Ce que fut faiſt, ſoudain l’aſne tourna viſage, diſant, auoine bien aduenant[3], non la forche, ie ne dis, qui me dit, paſſe ſans flux. Ainſi à eux ſe rendit chantant melodieuſement, comme vous ſçauez qui faict bon ouïr la voix & muſique de ces beſtes Archadiques.
Arriué qu’il fut on le mena en l’eſtable pres du grand cheual, fut frotté, torchonné, eſtrillé, litiere freſche iuſqu’au ventre, plain ratelier de foin, plaine mangoire d’auoine, laquelle quand les garſons d’eſtable cribloient, il leur chauuoit des aureilles, leurs ſignifiant qu’il ne la mangeroit que trop ſans cribler, & que tant d’honneur ne luy appartenoit.
Quant ils eurent bien repeu, le cheual interro-
- ↑ Par vn ſien apoloigue. Ὂνος ἂγριος.
- ↑ Pluſtoſt que ne ſont cuictes aſperges. Ms. cuiytz. C’était un des proverbes favoris d’Auguste : « Velocius quam asparagi coquantur. » (Suétone, Vie d’Auguste, 87)
- ↑ Auoine bien aduenant. Ms. : Auoine bien aueniat. Jeu de mots, aveniat (advienne), « aveine, y a. »