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le tiers livre.

estant incité par vision phantasticque de la furie infernale à commencer guerre contre Æneas, s’esueigla en sursault tout indigné : puis feut apres longues desolations occis par icelluy Æneas. Mille aultres. Quand ie vous compte de Æneas, notez que Fabius pictor dict rien par luy n’auoir esté faict ne entreprins, rien ne luy estre aduenu, que preallablement il n’eust congneu[1] & præueu par diuination somniale. Raison ne default es exemples. Car si le sommeil & repous est don & benefice special des Dieux, comme maintiennent les philosophes, & atteste le poete disant.

Lors l’heure estoit, que sommeil, don des Cieulx,
Vient aux humains fatiguez, gracieux.[2]

Tel don en fascherie & indignation ne peut estre terminé, sans grande infelicité prætendue. Aultrement seroit repous non repous : don non don. Non des dieux amis prouenent, mais des diables ennemis, iouxte le mot vulgaire : ἐχθρῶν ἄδωρα δῶρα[3]. Comme si le perefamile estant à table opulente, en bon appetit, au commencement de son repas, on voyoit en sursault espouenté soy leuer. Qui n’en sçauroit la cause s’en pourroit esbahir. Mais quoy ? il auoit ouy ses seruiteurs crier au feu : ses seruantes crier au larron : ses enfans crier au meurtre. Là failloit, le repas laissé, accourir, pour y remedier, & donner ordre. Vrayment ie me recorde, que les Caballistes & Massorethz interpretes des sacres letres, exposans en quoy lon pourroit par discretion congnoistre la verité des apparitions angelicques[4] (car souuent l’Ange de Sathan se transfigure en Ange de lumiere) disent la difference de ces deux estres en ce, que l’Ange

  1. Voyez Cicéron, De divinatione, i.
  2. Tempus erat quo prima quies mortalibus ægris
    Incipit, et dono divum gratissima serpit.

    (Virgile, Énéide, ii, 268)

  3. « Les dons des ennemis ne sont pas des dons. » (Sophocle, Ajax, 665)
  4. …. Vision venant de part mauluaise
    Au commencer donne semblance d’ayse,
    Et, au partir, tristes & desolez
    Rend ceulx qu’auoit à l’entrée consolez ;
    Mais au contraire, & tout à l’opposite,
    Faict le bon ange enuers ceulx que visite.
    Car au venir il leur donne terreur,
    Et au depart les iecte hors d’erreur.

    (Guillaume Crétin, Apparition du maréchal sans reproche, Paris, Coustelier, p. 114)