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le tiers livre

beau, fillol (diſt Pantagruel) tout beau. Ouurez pour la ſeconde foys. Lors rencontra ce vers.

Membra quatit, geliduſque coït formidine ſanguis.[1]
Les os luy rompt, & les membres luy caſſe,
Dont de la paour le ſang on corps luy glaſſe.

Il denote (diſt Pantagruel) qu’elle vous battera dos & ventre. Au rebours (repondiſt Panurge). C’eſt de moy qu’il prognoſticque, & dict, que ie la batteray en Tigre ſi elle me faſche. Martin baſton[2] en fera l’office. En faulte de baſton, le Diable me mange, ſi ie ne la mangeroys toute viue : comme la ſienne mangea Cambles, roy des Lydiens. Vous eſtez (diſt Pantagruel) bien couraigeux. Hercules ne vous combatteroit en ceſte fureur : mais c’eſt ce que lon dict, que le Ian en vault deux[3], & Hercules ſeul n’auza contre deux combattre. Ie ſuis Ian ? diſt Panurge. Rien, rien, repondiſt Pantagruel. Ie penſois au ieu de l’ourche & tricquetrac.

Au tiers coup rencontra ce vers.

Fæmino prædæ & ſpoliorum ardebat amore.[4]
Bruſloit d’ardeur en feminin vſaige
De butiner, & robber le baguaige.

Il denote (diſt Pantagruel) qu’elle vous deſrobera. Et ie vous voy bien en poinct, ſcelon ces troys ſors. Vous ſerez coqu, vous ſerez batu, vous ſerez deſrobbé. Au rebours, (repondiſt Panurge) ce vers denote, qu’elle m’aymera d’amour perfaict. Oncques n’en mentit le Satyricque[5], quand il dict : que femme bruſlant d’amour ſupreme, prent quelquefoys plaiſir à deſrobber ſon amy. Sçauez quoy ? Vn guand, vne aiguillette, pour la faire chercher. Peu de choſe, rien

  1. Membra quatit Virg., Énéide, III, 30.
  2. Martin baſton.

    Si elle te triche, voicy
    Martin baton qui en fera
    La raiſon.

    (Farce du badin. Anc. Théât. Franc., t. I, p. 278)

    … Hola, Martin bâton !
    Martin bâton accourt.

  3. Le Ian en vault deux. Jeu de mots. Jean se disait d’un mari trompé, et est encore un terme de jeu. « Au jeu de l’ourche et du trictrac, le grand Jan ou le petit Jan, qui aujourd’hui valent quatre points, n’en valaient probablement que deux du temps de Rabelais. » (Burgaud des Marets)
  4. FæmineoVirgile, Énéide, XI, 782.
  5. Le Satyricque.

    Ardeat ipsa licet, tormentis gaudet amantis,
    Et spoliis.

    (Juvénal, Sat. VI, 210)