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chapitre iii.

soit argent content. Il m’est aduis, que ie ioue encores le Dieu de la passion de Saulmur[1], accompaigné de ses Anges & Cherubins. Ce sont mes candidatz, mes parasites, mes salueurs, mes diseurs de bons iours, mes orateurs perpetuelz. Et pensois veritablement en debtes consister la montaigne de Vertus heroicque descripte par Hesiode[2], en laquelle ie tenois degré premier de ma licence : à laquelle tous humains semblent tirer & aspirer, mais peu y montent pour la difficulté du chemin : voyant au iourdhuy tout le monde en desir feruent, & strident appetit de faire debtes, & crediteurs nouueaulx. Toutesfoys il n’est debteur qui veult : il ne faict crediteurs qui veult. Et vous me voulez debouter de ceste felicité soubeline ? vous me demandez quand seray hors de debtes ?

Bien pis y a, ie me donne à sainct Babolin le bon sainct, en cas que toute ma vie ie n’aye estimé debtes estre comme vne connexion & colligence des Cieulx & Terre : vn entretenement vnicque de l’humain lignaige : ie dis sans lequel bien tost tous humains periroient : estre par aduenture celle grande ame de l’vniuers, laquelle scelon les Academicques, toutes choses viuifie. Qu’ainsi soit, repræsentez vous en esprit serain l’idée & forme de quelque monde, prenez si bon vous semble, le trentiesme de ceulx que imaginoit le philosophe Metrodorus : ou le soixante & dix huyctiesme de Petron : on quel ne soit debteur ne crediteur aulcun. Vn monde sans debtes. Là entre les astres ne sera cours regulier quiconque. Tous seront en desarroy. Iuppiter ne s’estimant debiteur à Saturne, le depossedera de sa sphære, & auecques sa chaine Homericque[3] suspendera les intelligences, Dieu, Cieulx, Dæmons, Genies, Heroes, Diables, Terre, mer, tous elemens. Saturne se r’aliera

  1. Cette représentation de la Passion a eu lieu en 1534. Jean Bouchet, l’ami de Rabelais, donne à ce sujet de curieux détails, dans son Epistre LXXXIX. Voyez Histoire du théâtre en France : les mystères, par L. Petit de Julleville, t. ii, p. 125-127. — Ailleurs (t. ii, p. 318), Rabelais cite avec éloge « la diablerie de Saulmur. »
  2. Voyez Travaux et Jours, v. 289.
  3. Voyez Iliade, viii, 18, et XV, 18.