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Comment le debat appaiſé Panurge marchande auecques
Dindenault vn de ſes moutons.
[1]

Chapitre VI.


Ce debat du tout appaiſé Panurge diſt ſecretement à Epiſtemon & à frere Ian. Retirez vous icy vn peu à l’eſcart, & ioyeuſement paſſez temps ce que voirez. Il y aura bien beau ieu, ſi la chorde ne rompt[2]. Puys ſe addreſſa au marchant, & de rechef beut à luy plein hanat de bon vin Lanternoys. Le marchant le pleigea guaillard, en toute courtoiſie & honeſteté. Cela faict Panurge deuotement le prioyt luy vouloir de grace vendre vn de ſes moutons. Le marchant luy reſpondit. Halas halas mon amy, noſtre voiſin comment vous ſçauez bien trupher des paouures gens. Vrayement vous eſtez vn gentil chalant. O le vaillant achapteur de moutons. Vraybis vous portez le minoys non mie d’vn achapteur de moutons, mais bien d’vn couppeur de bourſes. Deu Colas, faillon[* 1] qu’il feroit bon porter bourſe pleine aupres de vous en la tripperie ſus le degel ? Han, han, qui ne vous congnoiſtroyt, vous feriez bien des voſtres. Mais voyez hau bonnes gens, comment il taille de l’hiſtoriographe. Patience (diſt Panurge)

  1. Deu Colas, faillon. Sont motz Lorrains, de par ſainct Nicolas compaignon (p. 289)
  1. Comment… Panurge marchande auecques Dindenault vn de ſes moutons. Le récit qui occupe ce chapitre et les deux suivants est connu de tout le monde. La locution proverbiale : « les moutons de Panurge, » appliquée à ceux qui suivent sans réflexion l’exemple qui leur est donné, l’a rendu populaire. L’idée en est empruntée à Merlin Coccaie, qui raconte dans sa XIe macaronée l’expédient de Cingar pour se débarrasser des moutons et des marchands qui encombraient l’embarcation dont il avait besoin :

    Fraudifer ergo loquit paſtorem Cingar ad vnum :
    Vis, compagne, mihi caſtronem vendere graſſum ?…

    Dans le conte de L’Abbesse. La Fontaine met en vers l’histoire des moutons de Panurge, et dans L’Ours & les deux Compagnons, il y fait allusion par ce vers :

    Dindenaut priſoit moins ſes Moutons qu’eux leur Ours.

  2. Si la chorde ne rompt.

    Nous allons voir beau ieu, ſi la corde ne rompt.