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prologve.

espoinctees. C’est soubhayté celà. Que vous en semble ? Qu’en aduint il ? Au soir chascun d’eulx eut les mules au talon[1], le petit cancre au menton, la male toux au poulmon, le catarrhe au gauion, le gros froncle au cropion : & au diable le boussin de pain pour s’escurer les dens.

Soubhaitez doncques mediocrité, elle vous aduiendra, & encores mieulx, deument ce pendent labourans & trauaillans. Voire mais (dictes vous) Dieu m’en eust aussi toust donné soixante & dixhuict mille, comme la treziesme partie d’vn demy. Car il est tout puissant. Vn million d’Or luy est aussi peu qu’vne obole. Hay, hay, hay. Et de qui estez vous apprins ainsi discourir & parler de la puissance & prædestination de Dieu, paouures gens ? Paix. St, St, St. Humiliez vous dauant sa sacrée face, & recongnoissez vos imperfections.

C’est, Goutteux, sus quoy ie fonde mon esperance, & croy fermement, que (s’il plaist au bon Dieu) vous obtiendrez santé, veu que rien plus que santé pour le present ne demandez. Attendez encores vn peu, auecques demie once de patience. Ainsi ne font les Geneuoys, quand au matin auoir dedans leurs escriptoires & cabinetz discouru, propensé, & resolu, de qui & de quelz celluy iour ilz pourront tirer denares : & qui par leurs astuces sera beliné, corbiné, trompé & affiné, ilz sortent en place, & s’entresaluant disent, Sanita & guadain messer. Il ne se contentent de santé : d’abondant ilz soubhaytent guaing, voire les escuz de Guadaigne. Dont aduient qu’ilz souuent n’obtienent l’vn ne l’aultre. Or en bonne santé toussez vn bon coup, beuuez en trois, secouez dehait vos aureilles, & vous oyrez dire merueilles du noble & bon Pantagruel.



  1. Ce sont les engelures. On lit dans la proclamation du roi des fous à Poligny (1494) : « Pauures gens allant à pied, faute de cheual, ayant les mules au talon, faute de souliers. » Cette expression entrait souvent dans des imprécations grotesques, grossièrement rimées. Les enfants du Jura criaient jadis aux montagnards :

    Montagnon la rougne,
    Quatre pieds de chougne (crotin)
    La mule aux talons
    Grave montagnon.

    Voyez Toubin, Supplément au dictionnaire des patois jurassiens, aux mots chougne et mule. Mémoires de la Société d’émulation du Jura.