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chapitre xxiiii

& ioyeulx veu. Ie me eſbahys de vous, que ne retournez à vous meſmes, & que ne reuocquez vos ſens de ce farouche eſguarement en leur tranquillité naturelle. Vous entendent parler, me faictez ſouuenir du veu des Argiues[1] à la large perrucque, les quelz ayans perdu la bataille contre les Lacedæmoniens en la controuerſe de Tyrée, feirent veu cheueux en teſte ne porter, iusques à ce qu’ilz euſſent recouuert leur honneur & leur terre : du veu auſſi du plaiſant Heſpaignol Michel Doris, qui porta le trançon de greue en ſa iambe. Et ne ſçay lequel des deux ſeroit plus digne & meritant porter chapperon verd & iauſne à aureilles de lieure, ou icelluy glorieux champion, ou Enguerrant[2] qui en faict le tant long, curieux, & faſcheux compte, oubliant l’art & maniere d’eſcrire hiſtoires, baillée par le philoſophe Samoſatoys[3]. Car liſant icelluy long narré, lon penſe que doibue eſtre commencement, & occaſion de quelque forte guerre, ou inſigne mutation des Royaulmes : mais en fin de compte on ſe mocque & du benoiſt champion, & de l’Angloys qui le deſſia, & de Enguerrant leur tabellion plus baueux qu’vn pot à mouſtarde. La mocquerie eſt telle que de la montaigne d’Horace, laquelle crioyt & lamentoyt enormement, comme femme en trauail d’enfant. A ſon cris & lamentation accourut tout le voiſinaige en expectation de veoir quelque admirable & monſtrueux enfantement, mais en fin ne naſquit d’elle qu’vne petite ſouriz[4].

Non pourtant (diſt Panurge) ie m’en ſoubrys[5]. Se mocque qui clocque. Ainſi ſeray comme porte mon veu. Or long temps a que auons enſemble vous & moy, foy & amitié iurée, par Iuppiter Philios : dictez m’en voſtre aduis. Me doibz ie marier, ou non ? Cer-

  1. Veu des Argiues. Voyez Hérodote, I, 82.
  2. Enguerrant. Enguerrant de Monstrelet, liv. I, c. 2.
  3. Le philoſophe Samoſatoys. Lucien de Samosate, qui a écrit un traité : De la manière d’écrire l’histoire.
  4. Qu’vne petite ſouriz.

    Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus.

  5. Ie m’en ſoubrys. Jeu de mots renouvelé de Marot (Épiſtre à ſon amy Lyon) :

    Sire lyon (dit le filz de ſouris)
    De ton propos certes ie me ſoubris.