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le tiers livre.

mée la mer Entommericque. Secondement fois quitte. Car les Diables ayment fort les quictes. Ie le fçay bien quant est de moy. Les paillars ne cessent me mugueter, & me faire la court. Ce que ne souloient estant safrané & endebté. L’ame d’vn home endebté est toute hectique & discrasiée. Ce n’est viande à Diables. Tiercement auecques ton froc & ton domino de grobis retourne à Raminagrobis. En cas que trente mille batelées de Diables ne t'emportent ainsi qualifié, ie payeray pinthe & fagot. Et si pour ta sceureté, tu veulx compaignie auoir, ne me cherchez pas, non. Ie t'en aduise. Houstez vous de là. Ie n’y voys pas. Le Diable m’emport si ie y voys.

Ie ne m'en souciroys (respondist frere Ian) pas tant par aduenture que lon diroyt, ayant mon bragmard on poing. Tu le prens bien (dist Panurge) & en parle comme docteur subtil en lard. On temps que j’estudiois à l'eschole de Tolete, le reuerend pere en Diable Picatris recteur de la faculté diabolologicque, nous disoit que naturellement les Diables craignent la splendeur des espées, aussi bien que la lueur du Soleil. Defaict Hercules descendent en enfer à tous les Diables, ne leurs feist tant de paour ayant seulement sa peau de Lion, & sa massue, comme par apres feist Æneas estant couuert d’vn harnoy resplendissant, & guarny de son bragmard bien à poinct fourby & desrouillé à l’ayde & conseil de la Sibylle Cumane. C’estoit (peut estre) la cause pourquoy le seigneur Ian Iacques Triuolse mourant à Chartres[1], demanda son espée, & mourut l’espée nue on poing, s’escrimant tout au tour du lict, comme vaillant & cheualeureux, & par ceste escrime mettant en fuyte cous les Diables qui le guestoient au passaige de la mort. Quand on demande aux Masso-

  1. Ainsi dans les anciennes éditions et aussi dans Brantôme (Œuvres, t. ii, p. 222, Société de l’histoire de France). Ce n’en est pas moins une erreur. Il est mort à Châtres (Arpajon) le 5 décembre 1518. Brantôme, d’accord avec Rabelais, cite dans son récit le passage de Virgile (Énéide, vii, 260) auquel celui-ci fait allusion : « Il avoit ouy dire à quelques philosophes que les diables hayssoient fort les espées & en auoient grand frayeur, & s’enfuyoient quand ilz les voyoient blanches en l’air & flamboyer. Tel fut l’avis de la Sibille quand elle mena Æneas aux enfers, & qu’elle le vist à l’entrée de la porte avoir peur de messieurs les diables : « Non, non, dist-elle, n’aye point de peur ; tire seulement ton espée : Vaginaque eripe ferrum. » Aussi ledidt seigneur Iehan-Iacques, fondé sur telle opinion, lors qu’il voulut mourir, il se fist mettre son espée sur le lict toute nue près de luy, & tant qu’il peut il la tint en lieu de croix comme les autres ; & de vray, l’espée portoit la croix sur elle & luy seruoit d’autant ; & aussi que, cependant qu’elle renuoyeroit les diables, luy voyant ainsi en la main, eussent peur & ne s’approchassent de luy pour luy enleuer & emporter son ame auecqu’eux ; & par ainsi, ne s’en osans approcher de luy, ell’eust loisir de s’eschapper & passer par la porte de derrière, & s’enuoller viste en paradis. »