Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comment Panurge faict diſcours pour
retourner à Raminagrobis.


Chapitre XXIII.


Retovrnons (diſt Panurge continuant) l’admoneſter de ſon ſalut. Allons on nom, allons en la vertus de Dieu. Ce ſera œuure charitable à nous faicte : au moins s’il perd le corps & la vie, qu’il ne damne ſon ame. Nous le induirons à contrition de ſon peché : à requerir pardon es dictz tant beatz peres abſens comme præſens. Et en prendrons acte, affin qu’apres ſon treſpas ilz ne le declairent hæreticque & damné : comme les Farfadetz feirent de la præuoſte d’Orleans[1] : & leurs ſatisfaire de l’oultrage, ordonnant par tous les conuens de ceſte prouince aux bons peres religieux force bribes, force meſſes, force obitz & anniuerſaires. Et que au iour de ſon treſpas ſempiternellement ilz ayent tous quintuple pitance : & que le grand bourrabaquin plein du meilleur trote de ranco par leurs tables, tant des Burgotz, Layz, & Briffaulx, que des preſbtres & des clercs : tant des Nouices, que des Profés. Ainſi pourra il de Dieu pardon auoir.

Ho, ho, ie me abuſe, & me eſguare en mes diſ-

  1. Comme les Farfadetz feirent de la præuoſte d’Orleans. On lit præuoſté dans l’édition de 1552, mais j’ai cru devoir me ranger à l’opinion de Burgaud des Marets et imprimer præuoſte. Louise de Mareau, femme de François de Saint-Mesmin prévôt d’Orléans, ayant été enterrée dans l’église des Cordeliers, ces religieux contrefirent les farfadets et prétendirent que l’âme de la prévote revenait les tourmenter dans leur couvent. Le 1er février 1533, ils commencèrent à conjurer cet esprit, et ce manège continua longtemps. La fourberie ayant été découverte, ils furent condamnés à être brûlés ; mais ils firent amende honorable et furent seulement bannis par arrêt du 18 février 1534. C’est ce qui fait qu’Henri Estienne, parlant dans son Apologie pour Hérodote (c. XXI, t. I, p. 520) de l’impunité des gens d’église, s’exprime ainsi : « Dequoy entr’autres teſmoignages nous en auons vn fort bon es cordeliers d’Orleans, aprés auoir vſé de l’horrible & execrable impoſture qui depuis par tous les coins du monde fut diulguee. » Il revient souvent sur cette affaire (c. XV, t. I, p. 286 ; c. XXIII, t. I, p. 546), mais se contente de la rappeler au lecteur : « eſtimant n’eſtre beſoin de luy en faire le recit, veu que ces hiſtoires ont eſté imprimées, & outre cela ſont en la bouche d’vn chacun. » (c. XXXIX, t. II, p. 247). En effet Sleidars les a racontées tout au long (liv. IX, année 1534). Voyez aussi Lottin, Recherches historiques sur Orléans, t. I, p. 381. L’histoire des farfadetz qui figure dans la bibliothèque Saint-Victor, est très probablement, dans l’intention de Rabelais, celle de cet événement.