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vous en la ville en gravant comme ung rat la muraille, comme bien sçavez faire, et leur dictes qu’à heure presente ilz sortent et donnent sur les ennemys tant roiddement qu’ilz pourront : et ce dit, descendez vous en, prenant une torche allumée, avecques laquelle vous mettrez le feu dedans toutes les tentes et pavillons du camp : et ce faict, vous cryerez tant que pourrez de vostre grosse voix, qui est plus espovantable que n’estoit celle de Stentor qui fut ouy par sur tout le bruit de la bataille des Troyans, et vous en partez dudict camp. Voire mais, dist Carpalim, seroit ce pas bon que ie enclouasse toute leur artillerie ? Non non, dist Pantagruel, mais bien mettez le feu en leur pouldres. A quoy obtemperant Carpalim partit soubdain et fist comme avoit esté decreté par Pantagruel, et sortirent de la ville tous les combatans qui y estoient. Et lors qu’il eut mys le feu par les tentes et pavillons, passoit legierement par sur eulx sans qu’ilz en sentissent rien tant ilz ronfloient et dormoient parfondement. Il vint au lieu où estoit l’artillerie et mist le feu en leurs munitions. Mais, o la pitié, le feu fut si soubdain qu’il cuyda embraser le pouvre Carpalim. Et n’eust esté sa merveilleuse hastiveté et celerité, il estoit fricassé : mais il s’en partit si roiddement qu’ung carreau d’arbaleste ne va pas plus tost. Et quand il fut hors des tranchées il s’escrya si espovantablement, qu’il sembloit que tous les diables feussent deschainés. Auquel son s’esveillerent les ennemys, mais sçavez vous comment ? aussi estourdys que le premier son de matines, qu’on appelle en Lussonoys, frotecouille. Et ce pendant Pantagruel commença à semer le sel qu’il avoit en sa barque, et par ce qu’ilz dormoient la gueule