Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout plut à Grandgousier et commanda qu’ainsi fut fait. Dont sur l’heure envoya le Basque, son laquais, quérir à toute diligence Gargantua, et lui écrivait comme s’ensuit.

LA TENEUR DES LETTRES QUE GRANDGOUSIER ÉCRIVAIT À GARGANTUA.


« La ferveur de tes études requérait que de longtemps ne te révoquasse[1] de cetui philosophique repos, si la confiance de nos amis et anciens confédérés n’eût de présent frustré la sûreté de ma vieillesse. Mais, puisque telle est cette fatale destinée que par iceux sois inquiété èsquels plus je me reposais, force m’est de te rappeler au subside[2] des gens et biens qui te sont par droit naturel affiés[3]. Car ainsi comme débiles sont les armes au dehors si le conseil n’est en la maison, aussi vaine est l’étude et le conseil inutile, qui, en temps opportun, par vertu n’est exécuté et à son effet réduit.

« Ma délibération n’est de provoquer, ains[4] d’apaiser ; d’assaillir, mais de défendre ; de conquêter[5], mais de garder mes féaux sujets et terres héréditaires, èsquelles est hostilement entré Picrochole sans cause ni occasion, et de jour en jour poursuit sa furieuse entreprise, avec excès non tolérables à personnes libères[6].

« Je me suis en devoir mis pour modérer sa colère tyrannique, lui offrant tout ce que je pensais lui pouvoir être en contentement, et, par plusieurs fois, ai envoyé amiablement devers lui pour entendre en quoi, par qui et comment il se sentait outragé ; mais de lui n’ai eu réponse que de volontaire défiance[7], et qu’en mes terres prétendait seulement droit de bienséance[8]. Dont j’ai connu que Dieu éternel l’a laissé au gouvernail de son franc arbitre et propre sens, qui ne peut être que méchant si par grâce divine n’est continuellement guidé, et, pour le contenir en office[9] et réduire à connaissance me l’a ici envoyé à molestes[10] enseignes.

« Pourtant, mon fils bien aimé, le plus tôt que faire pourras, ces lettres vues, retourne à diligence secourir, non tant moi (ce que toutefois par pitié[11] naturellement du dois) que les tiens, lesquels

  1. Rappelasse.
  2. Secours.
  3. Confiés
  4. Mais.
  5. Conquérir.
  6. Libres.
  7. Défi.
  8. Convenance, de bon plaisir.
  9. Devoir.
  10. Fâcheuses.
  11. Piété filiale.