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l’herbe drue, dansèrent au son des joyeux flageolets et douces cornemuses, tant baudement[1] que c’était passe-temps céleste les voir ainsi soi rigoler.

LES PROPOS DES BIEN-IVRES.


Puis entrèrent en propos de réciner[2] on[3] propre lieu.

Lors flacons d’aller, jambons de trotter, gobelets de voler, breusses[4] de tinter.

« Tire.

— Baille.

— Tourne.

— Brouille[5].

— Boute[6] à moi sans eau ; ainsi, mon ami.

— Fouette-moi ce verre galantement.

— Produis-moi du clairet, verre pleurant.

— Trêves de soif.

— Ha ! fausse fièvre, ne t’en iras-tu pas ?

— Par ma fi ! ma commère, je ne peux entrer en bette[7].

— Vous êtes morfondue, m’amie ?

— Voire.

— Ventre Saint-Quenet, parlons de boire.

— Je ne bois qu’à mes heures, comme la mule du pape.

— Je ne bois qu’en mon bréviaire, comme un beau père gardien.

— Qui fut premier, soif ou beuverie ?

— Soif, car qui eût bu sans soif durant le temps d’innocence ?

— Beuverie, car privatio præsupponit habitum. Je suis clerc : Fæcundi calices quem non fecere disertum ?

— Nous autres innocents ne buvons que trop sans soif.

— Non moi, pêcheur, sans soif, et sinon présente, pour le moins future, la prévenant comme entendez. Je bois pour la soif à venir.

— Je bois éternellement. Ce m’est éternité de beuverie et beuverie d’éternité.

— Chantons, buvons ; un motet entonnons.

— Où est mon entonnoir ?

— Quoi ? je ne bois que par procuration !

— Mouillez-vous pour sécher, ou vous séchez pour mouiller ?

— Je n’entends point la théorique ; de la pratique je m’aide quelque peu.

  1. Joyeusement.
  2. Faire collation.
  3. Au.
  4. Brocs.
  5. Mélange.
  6. Mets.
  7. Boisson.