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OPINIONS ET JUGEMENTS SUR RABELAIS


La Bruyère, Des Ouvrages de l’esprit, 1687.

Marot et Rabelais sont inexcusables d’avoir semé l’ordure dans leurs écrits : tous deux avaient assez de génie et de naturel pour pouvoir s’en passer, même à l’égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu’à rire dans un auteur. Rabelais surtout est incompréhensible : son livre est une énigme, quoi qu’on veuille dire, inexplicable : c’est une chimère, c’est le visage d’une belle femme avec des pieds et une queue de serpent ou de quelque autre bête plus difforme : c’est un monstrueux assemblage d’une morale fine et ingénieuse et d’une sale corruption. Où il est mauvais, il passe bien loin au-delà du pire, c’est le charme de la canaille : où il est bon, il va jusques à l’exquis et à l’excellent, il peut être le mets des plus délicats.


Voltaire, Lettre sur Pope, 1726.

Notre curé de Meudon, dans son extravagant et inintelligible livre, a répandu une extrême gaieté et une… grande impertinence ; il a prodigué l’érudition, les ordures et l’ennui. Un bon conte de deux pages est acheté par des volumes de sottises : il n’y a que quelques personnes d’un goût bizarre qui se piquent d’entendre et d’estimer tout cet ouvrage. Le reste de la nation rit des plaisanteries de Rabelais et méprise le livre. On le regarde comme le premier des bouffons : on est fâché qu’un homme qui avait tant d’esprit en ait fait un si misérable usage : c’est un philosophe ivre qui n’a écrit que dans le temps de son ivresse.


Voltaire, Lettre à Mme du Deffant, 1760.

J’ai relu… quelques chapitres de Rabelais, comme le combat de frère Jean des Entommeures et la tenue du conseil de Picrochole (je les sais pourtant presque par cœur) ; mais, je les ai relus avec un très grand plaisir, parce que c’est la peinture du monde la plus vive. Ce n’est pas que je mette Rabelais à côté