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dans un livre ce qu’il avait annoncé dans l’autre, commençant un chapitre par des facéties de songe-creux, et, tout à coup, se laissant entraîner aux plus hautes et plus graves émotions.

Non. La merveilleuse et burlesque épopée ne sent pas l’huile. C’est l’inspiration heureuse d’un génie en belle humeur qui s’est laissé aller à écrire comme il parlait avec ses amis. Mettez en regard les publications savantes, les dédicaces, les lettres, les poésies, cette Sciomachie d’allure officielle, ces morceaux travaillés sur lesquels il comptait peut-être pour passer à la postérité. Tout paraît terne, sec, ennuyeux à périr. C’est une éclipse.

Il y a bien, il est vrai, les citations, qui entretiennent cette illusion de patiente élaboration. Quelle multitude d’auteurs cités ! L’antiquité latine et grecque, l’Écriture sainte, les Pères de l’Église, tout y passe avec l’indication du livre, du chapitre, du passage ! L’érudition paraît immense, démesurée et elle l’est en réalité. Mais regardez de près. Vous verrez que souvent Rabelais ne fait pas ses recherches lui-même et qu’il puise tout simplement ses citations dans les polygraphes anciens ou les humanistes contemporains. S’agit-il de conter l’histoire du fou et du rôtisseur ? Il invoque Jo. André, un rescrit papal, le Panormitain, Barbatia et Jason. Il n’oublie que de citer Tiraqueau à qui il a emprunté toutes ses références. Veut-il discuter la légitimité d’un enfant né après la mort du père ? Il fait appel à Hippocrate, Pline, Plaute, Varron, Censorinus, Aristote, Aulu-Gelle, mais il ne nous dit pas que c’est ce dernier auteur qui lui a fourni tout son bagage de science.

Et ce sont là les moindres emprunts que Rabelais se permette. On a écrit des volumes pour faire la liste de tout ce qu’on a cru lui voir emprunter à autrui. L’Utopie de Thomas Morus, l’Histoire macaronique de Folengo, le Songe de Polyphile de Colonna, les Adages d’Érasme, Villon, la Farce de Pathelin, les nouvellistes italiens, les fabliaux français, les romans de chevalerie : il puise partout. Non content de s’inspirer de ses devanciers et de leur emprunter leurs inventions, il insère même dans son œuvre des passages