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et fut enflambé[1] à profiter plus que jamais, en sorte que, le voyant étudier et profiter, eussiez dit que tel était son esprit entre les livres comme est le feu parmi les brandes, tant il l’avait infatigable et strident[2].

COMMENT PANTAGRUEL TROUVA PANURGE LEQUEL IL AIMA TOUTE SA VIE.

Un jour Pantagruel, se pormenant hors de la ville, vers l’abbaye Saint-Antoine, devisant et philosophant avec ses gens et aucuns écoliers, rencontra un homme beau de stature et élégant en tous linéaments du corps, mais pitoyablement navré[3] en divers lieux, et tant mal en ordre qu’il semblait être échappé aux chiens, ou mieux ressemblait un cueilleur de pommes du pays du Perche. De tant loin que le vit Pantagruel, il dit aux assistants : « Voyez-vous cet homme qui vient par le chemin du Pont-Charenton ? Par ma foi, il n’est pauvre que par fortune, car je vous assure qu’à sa physionomie, Nature l’a produit de riche et noble lignée ; mais les aventures des gens curieux l’ont réduit en telle pénurie et indigence. » Et ainsi qu’il fut au droit[4] d’entre eux, il lui demanda : « Mon ami, je vous prie qu’un peu veuillez ici arrêter et me répondre à ce que vous demanderai, et vous ne vous en repentirez point, car j’ai affection[5] très grande de vous donner aide à mon pouvoir en la calamité où je vous vois, car vous me faites grand pitié. Pourtant, mon ami, dites-moi, qui êtes-vous ? dont[6] venez-vous ? où allez-vous ? que quérez-vous, et quel est votre nom ? »

Le compagnon lui répond en langue germanique : « Junker, gott geb euch glück unnd hail. Zuvor, lieber Juncker, ich las euch wissen, das da ir mich von fragt, ist ein arm unnd erbarmglich ding, unnd wer vil darvon zu sagen, welches euch verdruslich zu hœren, unnd mir zu erzelen wer, vievol die Poeten unnd Orators vorzeiten haben gesagt in iren Sprüchen unnd Sentenzen, das die gedechtnus des ellends unnd armuot vorlangs erlitten ist ain grosser Lust[7]. »

À quoi répondit Pantagruel : « Mon ami, je n’entends point

  1. Enflammé.
  2. Perçant.
  3. Blessé.
  4. En face.
  5. Désir.
  6. D’où.
  7. (Comme pour le langage de l’écolier limousin, nous ne traduisons pas les harangues polyglottes de Panurge. Le sel de la plaisanterie réside dans l’inintelligibilité du discours. Nous n’avons pas non plus cherché à rétablir les textes en langues modernes : nous les donnons tels qu’ils figurent dans les anciennes éditions.)