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je dis plus tôt que ne sont cuites asperges. » Et l’âne au trot, à pets, à bonds, à ruades, au galop, à pétarades.

« La bergère, voyant l’âne déloger, dit au palefrenier qu’il était sien et pria qu’il fût bien traité, autrement elle voulait partir sans plus avant entrer. Lors commanda le palefrenier que plutôt les chevaux n’eussent de huit jours avoine que l’âne n’en eût tout son soûl. Le pis fut de le révoquer[1], car les garçons l’avaient beau flatter et l’appeler : « Truunc, truunc, baudet, ça.

— Je n’y vais pas, disait l’âne, je suis honteux. »

« Plus amiablement l’appelaient, plus rudement s’escarmouchait-il, et à sauts et à pétarades. Ils y fussent encore, ne fût la bergère qui les avertit cribler avoine haut en l’air, en l’appelant : ce que fut fait. Soudain l’âne tourna visage disant : « Avoine, bien, avenant : non la fourche ; je ne dis : qui me dit passe sans flux[2]. » Ainsi à eux se rendit, chantant mélodieusement, comme vous savez que fait bon ouïr la voix et musique de ces bêtes arcadiques.

« Arrivé qu’il fut, on le mena en l’étable près du grand cheval, fut frotté, torchonné, étrillé, litière fraîche jusqu’au ventre, plein râtelier de foin, pleine mangeoire d’avoine, laquelle, quand les garçons d’étable criblaient, il leur chauvait[3] des oreilles, leur signifiant qu’il ne la mangerait que trop sans cribler, et que tant d’honneur ne lui appartenait.

« Quand ils eurent bien repu, le cheval interrogea l’âne, disant : « Et puis, pauvre baudet, et comment t’en va ? Que te semble de ce traitement ? Encore n’y voulais-tu pas venir. Qu’en dis-tu ?

— Par la figue, répondit l’âne, laquelle un de nos ancêtres mangeant, mourut Philémon à force de rire, voici baume, monsieur le roussin. Mais quoi, ce n’est que demi-chère. Baudouinez-vous[4] rien céans, vous autres messieurs les chevaux ?

— Quel baudouinage me dis-tu, baudet ? demandait le cheval. Tes males avivres[5], baudet ! me prends-tu pour un âne ?

— Ha ! ha ! répondit l’âne, je suis un peu dur pour apprendre le langage courtisan des chevaux. Je demande : Roussinez-vous[6] point céans, vous autres messieurs les roussins ?

— Parle bas, baudet, dit le cheval, car si les garçons t’entendent, à grands coups de fourche ils te pelauderont[7] si dru

  1. Rappeler.
  2. (Terme de jeu).
  3. Dressait.
  4. Vous accouplez-vous (en parlant des baudets).
  5. L’enflure de tes glandes !
  6. (Comme baudouinez mais en parlant des chevaux.)
  7. Battront.