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entends bien, je retiens pour mon partage ce que sera dessus terre, tu auras le dessous. Travaille, vilain, travaille. Je vais tenter les hérétiques. Ce sont âmes friandes en carbonnade[1] : monsieur Lucifer a sa colique, ce lui sera une gorge chaude. »

Venu le temps de la cueillette, le diable se trouva au lieu avec un escadron de diableteaux de chambre. Là rencontrant le laboureur et ses gens, commença seyer[2] et recueillir les feuilles des raves. Après lui le laboureur bêchait et tirait les grosses raves et les mettait en poches[3]. Ainsi s’en vont tous ensemble au marché. Le laboureur vendait très bien ses raves. Le diable ne vendit rien. Que pis est, on se moquait de lui publiquement. Je vois bien, vilain, dit adonc le diable, que par toi je suis trompé. Je veux faire fin du champ entre toi et moi. Ce sera en tel pacte que nous entre-gratterons l’un l’autre, et qui de nous deux premier se rendra quittera sa part du champ. Il entier demeurera au vainqueur. La journée sera à huitaine. Va, vilain, je te gratterai en diable. J’allais tenter les pillards chicanous, déguiseurs de procès, notaires faussaires, avocats prévaricateurs ; mais ils m’ont fait dire par un truchement[4] qu’ils étaient tous à moi. Aussi bien se fâche[5] Lucifer de leurs âmes, et les renvoie ordinairement aux diables souillards de cuisine, sinon quand elles sont saupoudrées. Vous dites qu’il n’est déjeuner que d’écoliers, dîner que d’avocats, ressiner[6] que de vignerons, souper que de marchands, regoubillonner[7] que de chambrières, et tous repas que de farfadets. Il est vrai. De fait, monsieur Lucifer se paît[8] à tous ses repas de farfadets pour entrée de table, et se soûlait[9] déjeuner d’écoliers. Mais, las ! ne sais par quel malheur, depuis certaines années, ils ont avec leurs études adjoint les saints Bibles. Pour cette cause plus n’en pouvons au diable l’un tirer, et crois que si les cafards ne nous y aident, leur ôtants par menaces, injures, force, violence et brûlements leur saint Paul d’entre les mains, plus à bas n’en grignoterons. D’avocats pervertisseurs de droit et pilleurs de pauvres gens, il se dîne ordinairement et ne lui manquent. Mais on se fâche de toujours un[10] pain manger. Il dit naguère en plein chapitre qu’il mangerait volontiers l’âme d’un cafard, qui eût oublié soi en sermon recommander, et promit double paie et notable appointement à quiconque lui en apporterait une de broc en bouc[11]. Chacun de nous se mit en quête. Mais rien n’y avons

  1. Grillade.
  2. Couper.
  3. Sacs.
  4. Interprète.
  5. Fatigue.
  6. Goûter.
  7. Repas après souper.
  8. Repaît.
  9. Avait coutume.
  10. Un même.
  11. Bouche.