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Petesec, les cagots et briffauts[1] aussi. De leurs vouloirs je suis plus qu’assuré. Au joindre[2] sera le combat. »

COMMENT LE PETIT DIABLE FUT TROMPÉ PAR UN LABOUREUR DE PAPEFIGUE.

La mi-juillet venue, le diable se représenta au lieu, accompagné d’un escadron de petits diableteaux de chœur. Là rencontrant le laboureur, lui dit : « Et puis, vilain, comment t’es-tu porté depuis ma départie[3] ? Faire ici convient nos partages.

— C’est, répondit le laboureur, raison. » Lors commença le laboureur avec ses gens seyer[4] le blé. Les petits diables de même tiraient le chaume de terre. Le laboureur battit son blé en l’aire, le ventit[5], le mit en poches, le porta au marché pour vendre. Les diableteaux rirent de même, et au marché près du laboureur, pour leur chaume vendre, s’assirent. Le laboureur vendit très bien son blé, et de l’argent emplit un vieux demibrodequin[6], lequel il portait à sa ceinture. Les diables ne vendirent rien, ains[7] au contraire les paysans en plein marché se moquaient d’eux.

Le marché clos, dit le diable au laboureur : « Vilain, tu m’as à cette fois trompé ; à l’autre ne me tromperas.

— Monsieur le diable, répondit le laboureur, comment vous aurais-je trompé, qui[8] premier avez choisi ? Vrai est qu’en cetui choix me pensiez tromper, espérant rien hors terre n’issir[9] pour ma part, et dessous trouver tout entier le grain que j’avais semé, pour d’icelui tenter les gens souffreteux, cagots ou avares, et par tentation les faire en vos lacs trébucher. Mais vous êtes bien jeune au métier. Le grain que voyez en terre est mort et corrompu, la corruption d’icelui a été génération de l’autre que m’avez vu vendre. Ainsi choisissiez-vous le pire. C’est pourquoi êtes maudit en l’Évangile.

— Laissons, dit le diable, ce propos. De quoi cette année séquente[10] pourras-tu notre champ semer ?

— Pour profit, répondit le laboureur, de bon ménager, le conviendrait semer de raves.

— Or, dit le diable, tu es vilain de bien. Sème raves à force, je les garderai de la tempête, et ne grêlerai point dessus. Mais,

  1. Frères lais.
  2. Corps à corps.
  3. Départ.
  4. Couper.
  5. Éventa.
  6. (Chaussette de cuir).
  7. Mais.
  8. Vous qui.
  9. Sortir.
  10. Suivante.