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dement nous en mangeâmes jusques là que confessions nos estomacs être très bien écurés de soif nous importunant assez fâcheusement, dont nous dit : « Jadis un capitaine juif, docte et chevalereux, conduisant son peuple par les déserts en extrême famine, impétra[1] des cieux la manne, laquelle leur était de goût tel, par imagination, que par avant réalement[2] leur étaient les viandes[3]. Ici de même, buvants de cette liqueur mirifique, sentirez goût de tel vin comme l’aurez imaginé. Or, imaginez et buvez. » Ce que nous fîmes. Puis s’écria Panurge, disant « Par Dieu, c’est ici vin de Beaune, meilleur qu’onques jamais je bus, ou je me donne à nonante et seize diables. Ô pour plus longuement le goûter, qui aurait le col long de trois coudées, comme désirait Philoxénus, ou comme une grue, ainsi que souhaitait Mélanthius !

— Foi de lanternier, s’écria frère Jean, c’est vin de Graves, galant et voltigeant. Ô pour Dieu, amie, enseignez-moi la manière comment tel le faites !

— À moi, dit Pantagruel, il me semble que sont vins de Mirevaux, car avant boire je l’imaginais. Il n’a que ce mal qu’il est frais, mais je dis frais plus que glace, que l’eau de Nonacris et Dercé, plus que la fontaine de Conthopérie en Corinthe, laquelle glaçait l’estomac et parties nutritives de ceux qui en buvaient.

— Buvez, dit Bacbuc, une, deux ou trois fois. De rechef changeans d’imagination, telle trouverez au goût, saveur ou liqueur, comme l’aurez imaginé. Et dorénavant, dites qu’à Dieu rien soit impossible.

— Onques, répondis-je, ne fut dit de nous ; nous maintenons qu’il est tout puissant. »

COMMENT BACBUC ACCOUTRA PANURGE POUR AVOIR LE MOT DE LA BOUTEILLE.

Ces paroles et buvettes achevées, Bacbuc demanda : « Qui est celui de vous qui veut avoir le mot de la dive Bouteille ?

— Je, dit Panurge, votre humble et petit entonnoir.

— Mon ami, dit-elle, je n’ai à vous faire instruction qu’une : c’est que venant à l’oracle, ayez soin n’écouter le mot, sinon d’une oreille.

  1. Obtint.
  2. Réellement.
  3. Mets.