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ne vivait que d’une viande qu’ils appellent en leur patois appellations. Le voyant, Pantagruel demanda à Gagnebeaucoup de quelle race était ce protonotaire, et comment il s’appelait. Gagnebeaucoup nous conta comme de tout temps et ancienneté il était léans, au grand regret de Messieurs enchaîné, qui le faisaient mourir presque de faim, et s’appelait revisit. « Par les saints couillons du pape, dit frère Jean, voilà un beau danseur et je ne m’ébahis pas si Messieurs les ignorants d’ici font grand cas de ce papelard-là. Par Dieu, il m’est avis, ami Panurge, si tu y regardes bien, qu’il a le minois de Grippeminaud. Ceux-ci, tous ignorants qu’ils sont, en savent autant que les autres. Je le renverrais bien d’où il est venu à grands coups d’anguillade.

— Par mes lunettes orientales, dit Panurge, frère Jean, mon ami, tu as raison, car à voir la trogne de ce faux vilain revisit, il est encore plus ignorant et méchant que ces pauvres ignorants ici, qui grappent[1] au moins mal qu’ils peuvent, sans long procès, et qui, en trois petits mots, vendangent le clos sans tant d’interlocutoires ni décrotoires, dont ces chats fourrés en sont bien fâchés. »

COMMENT NOUS PASSÂMES OUTRE ET COMMENT PANURGE Y FAILLIT D’ÊTRE TUÉ.

Sur l’instant nous prîmes la route d’Outre, et contâmes nos aventures à Pantagruel, qui en eut commisération bien grande, et en fit quelques élégies par passe-temps. Là arrivés, nous rafraîchîmes un peu et puisâmes eau fraîche : prîmes aussi du bois pour nos munitions. Et nous semblaient les gens du pays à leur physionomie bons compagnons et de bonne chère. Ils étaient tous outrés, et tous pétaient de graisse, et aperçûmes, ce que n’avais encore vu ès autres pays, qu’ils déchiquetaient leur peau pour y faire bouffer la graisse, ni plus ni moins que les salebrenaux[2] de ma patrie découpent le haut de leurs chausses pour y faire bouffer le taffetas. Et disaient ce ne faire pour gloire et ostentation, mais autrement ne pouvaient en leur peau. Ce faisant aussi, plus soudain devenaient grands, comme les jardiniers incisent la peau des jeunes arbres pour plus tôt les faire croître.

  1. Grapillent.
  2. Foireux.