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Livre V, Chapitre XVIII.
Comment les Chats-fourrez vivent de corruption. Chapitre XIIII.


Ces paroles n’estoient achevées , quand frere Jean apperceut soixante et huict galleres et fregades arrivantes au port : là soudain courut demander nouvelles, ensemble de quelle marchandise estoient les vaisseaux chargez ; vit que tous chargez estoient de venaison, levraux, chappons, palombes, cochons, chevreaux, vaneaux, poullets, canards, albrans, oisons, et autres sortes de gibier. Parmy aussi apperceut quelques pieces de velours, satin et damas. Adoncques interrogua les voyagiers où et à qui ils portoient ces frians morceaux. Ils respondirent que c’estoit à Grippe-minaud, aux Chats-fourrez et Chattes-fourrées.

« Comment, dit Frere Jean, appellez-vous ces drogues-là ? — Corruption, respondoient les voiagers. — Ils, doncques, dist frere Jean, de corruption vivent, en génération périront. Par la vertu Dieu, c’est cela : leurs peres mangerent les bons gentilshommes, qui par raison de leur estat s’exerçoient à la vollerie et à la chasse pour plus estre en temps de guerre escorts et ja endurcis au travail. Car venation est comme un simulachre de bataille, et onques n’en mentit Xenophon, escrivant estre de la venerie, comme du cheval de Troye, yssus tous bons chefs de guerre. Je ne suis pas clerc, mais on me l’a dit, je le croy. Les ames d’iceux, selon l’opinion de Grippe-minaud, après leur mort entrent en sangliers, cerfs, chevreaux, herons, perdrix et autres tels animaux, lesquels avoient leur première vie durante tousjours