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est l’espoir de son estude ? quel bien pretend il ? Rien plus qu’ung peu de mouelle. Vray est que ce peu plus est delicieux que le beaucoup de toutes aultres ; pource que la mouelle est aliment elabouré a perfection de nature, comme dict Galen. III, Facult. nat. et XI, de Usupartium.

A l’exemple d’icelluy vous conuient estre saiges, pour fleurer, sentir et estimer ces beaulx liures de haulte gresse, legiers au prochaz[1], et hardiz a la rencontre. Puis, par curieuse leçon et meditation frequente, rompre l’os, et sugcer la substantificque mouelle, c’est a dire ce que i’entends par ces symboles pythagoricques, auecques espoir certain d’estre faictz escorts[2] et preux a ladicte lecture ; car en icelle bien aultre goust trouuerez, et doctrine plus absconse, laquelle vous reuelera de treshaultz sacremens et mysteres horrificques, tant en ce qui concerne nostre religion, que aussi l’estat politicq et vie oeconomicque.

Croyez vous en vostre foy qu’oncques Homere, escripuant Iliade et Odyssee, pensast es allegories lesquelles de luy ont calefreté[3] Plutarche, Heraclides Ponticq, Eustatie, Phornute, et ce que d’yceulx Politian ha desrobé ?[4] Si le croyez, vous n’approchez ne de piedz, ne de mains a mon opinion, qui decrete icelles aussi peu auoir esté songees d’Homere, que d’Ouide, en ses Metamorphoses, les sacremens de l’Euangile, lesquelz ung frere lubin, vray crocquelardon[5], s’est efforcé demonstrer, si d’aduenture il rencontroit gens aussi folz que luy, et (comme dict le proverbe) couuercle digne du chaulderon.

Si ne le croyez, quelle cause est pourquoy autant n’en ferez de ces ioẏeuses et nouuelles chronicques? combien que<re>Quoique</ref>, les dictant, n’y pensasse en plus que vous, qui par aduenture beuuiez comme moy, Car, a la composition de ce liure seigneurial, ie ne perdy ne employai oncques plus ny aultre temps que celluy qui estoit estably a prendre ma refection corporelle, sçauoir est, beuuant et mangeant. Aussi est ce la iuste heure d’escripre ces haultes matieres et sciences profundes.

Comme bien faire sçauoit Homere, paragon[6] de tous philologues, et Ennie, pere des poetes latins, ainsi que tesmoigne Horace, quoyqu’ung malautru ayt dict que ses carmes sentoyent plus le vin que l’huyle.

Autant en dict ung tirelupin de mes liures ; mais bren pour luy. L’odeur du vin o combien plus est friant, riant, priant, plus celeste et delicieux que d’huyle ! Et prendray autant a gloire qu’on die de moy que plus en vin aye despendu qu’en huyle, que feit Demosthenes quand de luy on disoit que plus en huyle que en vin despendoyt. A moy n’est que honneur et gloire d’estre dict et reputé bon gaultier et bon compaignon : en ce nom, suis bien venu en toutes bonnes compaignies de pantagruelistes. A Demosthenes feut reproché, par ung, chagrin, que ses oraisons sentoyent comme la serpielliere d’ung ord

  1. Pourchas, poursuite (terme de vénerie).
  2. Prudent, de l’italien scorto.
  3. 2 édit. du XVIe s. portent beluté.
  4. Expression injuste, flatterie à Budce et à Lascaris.
  5. Allus. au livre du dominicain ang. Thomas Walleys, qui trouvoit des conformités entre la Bible et Ovide.
  6. Sans pareil.