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l’AKTAGUL’EL. 1|7

trouuer en Sorbonne, il feit une tartre borbonnoyse[1], composée de force de ails, de galbanum, de assa fetida, de castoreum, d’estroncs tous chauldz, et la destrempit en sanie[2] de bosses chancreuses ; et, de fort bon matin, en gressa et oignit tout le treilliz de Sorbonne, en sorte que le diable n’y eust pas duré. Et tous ces bonnes gens rendoyent la leurs gorges deuant tout le monde, comme s’ilz eussent escorché le regnard, et en mourut dix ou douze de peste, quatorze en feurent ladres, dix et huyct en feurent pouacres[3], et plus de vingt et sept en eurent la verolle, mais il ne s’en soucioit mye. Et portoit ordinairement ung fouet sous sa robbe, duquel il fouettoit sans remission les paiges qu’il trouuoit portans du vin a leurs maistres, pour les auanger d’aller. En son saye auoit plus de vingt et six petites bougettes et fasques[4], tousiours pleines, l’une d’ung petit d’eaue de plomb, et d’ung petit cousteau affilé comme l’agueille d’ung peletier, dont il coupoit les bourses ; l’aultre de aigrest[5] qu’il iectoit aulx yeulx de ceulx qu’il trouuoit ; l’aultre de glaterons[6] enpennez de petites plumes d’oysons, ou de chappons, qu’il iectoit sus les robbes et bonnetz des bonnes gens : et souuent leur en faisoit de belles cornes, qu’ilz portoyent par toute la ville, aulcunes foys toute leur vie. Aux femmes aussi, par dessus leurs chapperons au derriere, aulcunesfoys en mettoit faictz en forme d’ung membre d’homme. En l’aultre, ung tas de cornetz tous pleins de pulces et de poulx, qu’il empruntoit des guenaulx de Sainct Innocent, et les iectoit, auecques belles petites cannes ou plumes dont on escript, sus les colletz des plus succrees damoiselles qu’il trouuoit, et mesmement en l’ecclise : car iamais ne se mettoit au cueur au hault, mais tousiours demouroit en la nef entre les femmes, tant a la messe, a vespres, comme au sermon.

En l’aultre, force prouision de haims et claueaulx[7], dont il accouploit souuent les hommes et les femmes, en compaignies ou ilz estoyent serrez, et mesmement celles qui portoyent robbes de tafetas armoisy, et a l’heure qu’elles se vouloyent departir, elles rompoyent toutes leurs robbes. En l’aultre, ung fouzil guarny d’esmorche[8], d’allumettes, de pierre a feu, et tout aultre appareil a ce requis.

En l’aultre, deux ou troys mirouers ardens, dont il faisoit enraiger aulcunesfoys les hommes et les femmes, et leur faisoit perdre contenence a l’ecclise : car il disoit qu’il n’y auoit qu’ung antistrophe entre femme folle a la messe, et femme molle a la fesse. En l’aultre, auoit prouision de fil, et d’agueilles, dont il faisoit mille petites diableries. Une foys, a l’yssue du Palays a la grand salle, lors qu’ung cordelier disoit la messe de Messieurs, il luy ayda a soy habiller et reuestir, mais, en l’accoustrant, il luy cousit l’aulbe auec sa robbe et chemise, et puys se retira quand messieurs de la court vindrent s’asseoir pour ouyr icelle messe. Mais, quand ce feut a l’Ite missa est, que le paoure frater se voulut deuestir son aulbe, il emporta ensemble

  1. Bourbier tel qu’il s’en trouve dans le Bourbonnois et dont le dehors paroit sec et uni.
  2. Pus.
  3. Couverts d’ulcères.
  4. Pochettes et étuis.
  5. Verjus.
  6. Plante qui s’attache aux objets sur lesquels on la jette.
  7. Crochets et hameçons.
  8. Amorce.