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toire, et l’autre n’aurait rien obtenu sans la plus lâche adulation ; et j’ai vu tel père de famille qui pouvait dire à ses enfans : le pain que je vous donne est le prix de mon humiliation.

Le travail est le gage de l’indépendance, dit-on, je dis, moi, pas toujours. En tout pays, dit Rousseau, les bras d’un homme valent sa subsistance, cela n’est pas plus exact : le travail peut souvent manquer, il peut se faire que le hasard ne laisse à ma disposition que des instrumens dont je ne puis pas me servir. L’éducation décide de tout ce que nous sommes ; or, l’éducation telle qu’on l’entend dans les pays civilisés, par l’effet de directions trop spéciales et trop exclusives, prépare évidemment dès victimes au malheur : rien de plus fréquent que de voir des revers de fortune, des froissemens inattendus déjouer des plans trop prématurés en même temps que trop absolus, et rendre les provisions du jeune âge absolument inutiles pour l’âge avancé de la vie. Dites à celui dont une éducation trop délicate et trop molle énerva les membres, de prendre le sac et le mousquet du soldat ; à celui qui n’exerça que son cerveau et sa plume, de manier la hache du charpentier, ou le lourd marteau du forgeron ; à celui qui n’apprit à rien faire, parce qu’il pensait que la nature avait tout fait pour lui, de se rendre apte à quelque chose. Je veux bien admettre que toutes ces possibilités existent dans cette volonté