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geant, et d’ailleurs le nécessaire est souvent aussi difficile à obtenir que le superflu. Telle est la bizarrerie de la fortune : tandis que les uns semblent n’avoir que des vœux à former pour les voir accomplis, et que portés par je ne sais quelle main invisible, ils montent et s’élèvent sans travaux et sans peine sur tous les sommets sociaux, d’autres, et c’est nécessairement le plus grand nombre, semblent condamnés, dans ce monde, à réaliser la fable de Sysiphe qui roule contre un escarpement insurmontable, le rocher sous lequel il retombe éternellement. Les talens, les travaux, les vertus, toutes ces choses sont vaines contre l’ascendant de la destinée ; c’est une terrible vérité qui ne peut être contestée que par les hommes obligés de professer le mensonge, ou par ces favoris du sort dont l’heureuse, mais méprisable ignorance n’a, de la vie, que les étroites notions, fruit de leur expérience personnelle.

S’il ne fallait faire des lâchetés et trahir les intérêts de sa conscience que pour obtenir de l’opulence et du pouvoir, certes les hommes seraient trop heureux, et les sages triompheraient avec facilité. Le malheur est que la vie même et la vie la plus simple est souvent à ce prix ; le malheur est que la médiocrité dorée du poète Horace est d’une tout aussi difficile acquisition que les trésors de Lucullus. Celui-ci tient tout des mains généreuses de la vic-