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dira-t-on : tenez-vous à l’écart, renoncez à la richesse et aux honneurs, si vous êtes capable de ce stoïcisme ; mais qu’y a-t-il de commun entre cette résolution si digne d’éloge, et cette frénétique rébellion contre les lois de Providence dont on se rend coupable en se donnant la mort ?

Ce raisonnement est aussi faux, qu’il serait juste et invincible, si l’homme vivant en société pouvait se choisir les élémens de sa destinée : or, c’est précisément de l’impossibilité où il est de faire ce choix, que je suis parti pour plaider la cause du suicide. J’ajoute ici, pour mieux développer ma pensée, que l’homme de la société ne peut pas s’arrêter une fois qu’il s’est jeté au milieu de la tourmente, ou, si l’on préfère une autre comparaison, qu’il est presque absurde de vouloir fixer le point où dans cette lutte impétueuse des passions et des intérêts personnels, finit la défense et commence l’attaque ; le point où le domaine de la conservation personnelle est franchi pour faire place à l’invasion de l’existence d’autrui. Tel s’est jeté dans la carrière de l’intrigue et du monde afin d’acquérir seulement de quoi se soustraire à l’empire du besoin, qui finit par être dévoré de la soif des richesses, après avoir accumulé des millions. Amyot, fils d’un boucher, bornait son ambition à devenir possesseur d’un petit bénéfice ; depuis évêque de Béllosane, il disait avec une naïveté d’habitude, que l’appétit vient en man-