Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette utilité, pour qu’elle soit réelle, il faut ou des richesses, ou des talens, ou un crédit qui rarement n’est pas le fruit des unes ou des autres. Tout homme, même dépourvu de ces trois choses, peut sans doute faire une bonne action, mais dans ce cas la faculté de faire le bien n’est plus une condition de son existence, ce n’en est plus qu’un accident ; et quand j’ai de justes motifs pour être las de la vie au point de vouloir en sortir, il serait tout-à-fait ridicule et non moins inutile de me vouloir retenir, par la raison que je pourrais si le feu se mettait chez mon voisin, éteindre l’incendie, ou si sa femme tombait à l’eau l’empêcher de se noyer. Pour qu’il y ait équilibre dans des motifs contraires de détermination, il faut certainement qu’il y ait une égale actualité, avec une égale puissance. Les intérêts les plus prochains et les plus immédiats sont toujours ceux qui l’emportent ; et c’est de là que vient la prédominance des dispositions pénales des codes humains, sur toutes les menaces de la religion, bien que celle-ci ait à sa disposition l’éternité des supplices, et les trésors de la colère d’un Dieu vengeur.

Mais, selon moi, on fait encore un très-grand bien, quoique sous une apparence négative, toutes les fois que l’on se tire de la foule et que l’on renonce à prendre sa part des avantages que, contre l’intention de la nature, la société distribue avec une si aveugle ou si criminelle partialité ; d’accord me